Exposition de la population française aux polluants de l’environnement.
Pr. Jean François Narbonne, Professeur de Toxicologie à l’Université de Bordeaux, expert à l’ANSES. Auteur du livre « sang pour sang Toxique », éditions Thierry Souccar, 2010.
Exposition de la population française aux polluants de l’environnement.
Pour la première fois en France, les concentrations biologiques de plusieurs polluants de l’environnement ont été mesurées sur un échantillon représentatif de la population, les premiers résultats viennent d’être publiés par l’InVS.
La biosurveillance consiste à évaluer une substance chimique, les produits qui en découlent une fois qu’elle a été décomposée, ou les produits pouvant résulter des interactions dans le corps. En règle générale, l’évaluation s’effectue par le biais de prélèvements dans le sang et l’urine et parfois dans d’autres tissus tels que les cheveux, la salive et le lait maternel. Elle constitue un outil indicateur performant pour évaluer les niveaux d’exposition aux substances chimiques via l’air, le sol, l’eau, les aliments ou les produits commerciaux. Elle a aussi comme atout majeur de mieux approcher l’estimation de la dose interne, c’est-à-dire de la quantité susceptible d’avoir un effet toxique sur nos tissus et cellules en fonction des processus de distribution et d’élimination, bref de toxicocinétique. La biosurveillance minimise les incertitudes liées à l’estimation de la dose interne à partir des seuls paramètres d’exposition externes. Toute fois il ne faut pas cacher la complexité de mise en œuvre de ces méthodes (en particulier dans un cadre de recherches) liée par exemple aux problèmes éthiques, statistiques (taille des cohortes) , techniques (prélèvements, dosages) sans parler des problèmes de communication avec en premier lieu les participants à l’étude (révélation de leurs niveaux de contamination). Enfin la biosurveillance fournit des informations aux acteurs de santé publique, médecins et scientifiques pour les aider à identifier l’existence d’une exposition à certains polluants de l’environnement, faciliter l’identification de leurs sources et prévenir les maladies ou symptômes pouvant provenir d’une telle exposition en utilisant comme références des valeurs critiques d’imprégnation ou valeurs limites biologiques (VLB), valeurs a partir desquelles des effets santé ont été constatés chez l’homme dans les études épidémiologiques. Pour l’évaluation des risques pour la santé liés aux expositions aux substances chimiques, cette démarche est donc très complémentaire de l’approche classique utilisant une valeur toxicologique de référence (VTR) comme la Dose Journalière Admissible (DJA) ou Benchmark dose (BMD).
Des études de biosurveillance ou de biomonitoring cherchant à évaluer l’exposition de la population aux polluants de l’environnement, ont été réalisées depuis quelques années dans différents pays comme l’Allemagne (GerES depuis 1988) les USA (NHANE depuis 1999) ou le Canada (ECMS depuis 2007), en dosant directement le polluant ou ses métabolites dans l’organisme humain. Les substances ainsi dosées sont appelées “biomarqueurs”. En France après une première étude sur les niveaux d’imprégnation de la population Française en Dioxines et PCBs publiée en 2006 et portant sur un millier d’individus, l’InVS a étendu cette stratégie de biosurveillance a un échantillon représentatif de la population Française et a un nombre accru de polluants choisis sur la base des données scientifiques et compte tenu de l’exposition possible en France. L’étude intitulée Étude nationale nutrition santé (ENNS) porte précisément sur l’exposition de la population française à divers polluants de l’environnement estimée par la mesure de 42 biomarqueurs d’exposition. Ils correspondent à des contaminants chimiques de l’alimentation et de l’environnement retenus en fonction de leur intérêt en santé publique : 11 métaux, 6 PCB et trois familles chimiques de pesticides (organochlorés, organophosphorés et pyréthrinoïdes). Ces substances chimiques ou leurs métabolites ont été dosés dans des prélèvements de sang, d’urine, ou de cheveux recueillis auprès d’un échantillon représentatif d’environ 3 100 personnes adultes âgées de 18 à 74 ans et 1 700 enfants âgés de 3 à 17 ans en France métropolitaine pendant la période 2006-2007.
Les résultats indiquent que la population française présente des niveaux d’exposition aux métaux lourds et aux pesticides organochlorés globalement bas et conformes aux niveaux observés à l’étranger. Concernant les polychlorobiphényles (PCB) et d’autres pesticides (paradichlorobenzène et pyréthrinoïdes), les niveaux français sont notablement plus élevés que ceux observés aux États-Unis et en Allemagne.
Pour ce qui concerne l’étude des risques, on peut comparer quelques résultats issus de l’approche biomonitoring et de l’approche classique exposition/VTR, telle que publiée récemment par l’ANSES (étude EAT2). La comparaison portant sur les pourcentages de d’individus dépassant la valeur de référence (VLB ou VTR) pour la population générale ou certaines catégories (enfants, adultes, femmes en âge de procréer <45 ans) est résumée dans le tableau 1.
Tableau 1 : Pourcentage de dépassement des valeurs sanitaires pour la population générale, les adultes, les enfants (3-17 ans), ou les femmes de moins de 45 ans en âge de procréer, suivant une approche soit biomarqueur d’exposition/VLB soit calcul exposition alimentaire/VTR.
Polluant | Dépassement (VLB) | Dépassement (VTR) |
Pb | Adultes : 1,7% (plombémie, 100µg/l) | Adultes : 0% (0,63 µg/kg/j) Enfants : 5% (0,5 µg/kg/j) |
Cd | Adultes : 1,5% (2,5 µg/g créat. Urinaire) | Adultes : 0,6% (0,35 µg/kg/j) Enfants : 15% (0,35 µg/kg/j) |
Hg | Adultes : 19% (1 µg/g cheveux) Enfants : 9,2% (idem) Femmes <45 : 3,9% (idem) | Adultes : 0,84% (0,23 µg/kg/j MeHg) Enfants : 1,1% (idem) Femmes <45 : 0,72% (idem) |
Sb | Adultes : 5% (2,5 µg/g créat. Urinaire) | Population : 0% (6 µg/kg/j) |
PCBi | Adultes : 0,4% (1,8 µg/g lipide sang) Femmes <45 : 3,6% (0,7 ng/g lipide sang) | Adultes : 15% (10 ng/kg/j) Conso. Poissons : 72% (idem) |
Pour les biomarqueurs qui peuvent être interprétés en termes de risques potentiels pour la santé en fonction des niveaux d’imprégnation (existence de VLB), on observe des dépassements des seuils dans une proportion plus (Hg, Sb, PCB) ou moins (Pb, Cd) importante de la population. L’évaluation des risques classique (exposition alimentaire/VTR) donne des résultats supérieurs (PCB, Cd) ou inférieurs (MeHg, Sb) aux résultats issus de l’approche biomarqueur. Les résultats obtenus par les deux approches sont relativement cohérents compte tenu des différences d’approches (marqueurs d’exposition totale / calcul d’exposition alimentaire, approche épidémiologique des VLB / approche expérimentale des VTRs). Dans l’ensemble les risques sont en général faibles pour l’ensemble de la population mais certaines catégories comme les enfants peuvent présenter des risques non négligeables (Hg, PCB). Ceci indique que les efforts de réduction de l’exposition à ces polluants doivent être poursuivis. Enfin il est étonnant que cette avancée remarquable dans l’évaluation des risques en santé environnement par les instances sanitaires officielles n’ait pas été reprise par les médias. Ils sont trop empressés pour mettre en avant les informations manipulées par les ONGs ayant table ouverte chez les faiseurs d’opinion, depuis la mise en scène du « Grenelle de l’Environnement ».